La psilocybine (retrouvée dans certains champignons), le diméthyltryptamine (DMT) et le diéthyllysergamide (LSD) jouissent d’une certaine célébrité auprès du grand public. Mais ces substances ne sont pas non plus inconnues du monde médical. De fait, elles pourraient présenter un intérêt dans le traitement de maladies psychiatriques, dont la dépression et les addictions.
Des mécanismes d’action complexes
Psilocybine, DMT et LSD ont en commun d’activer un type particulier de récepteur du système nerveux appelé « sérotoninergique 5-HT2A », ce qui permet de les regrouper dans une même catégorie : les psychédéliques. « Cette propriété est très certainement à l’origine des effets qu’elles entraînent », explique Lucie Berkovitch, psychiatre et chercheuse en neurosciences à l’Université de Yale. Au-delà des actions sur le récepteur 5-HT2A, ces trois molécules agissent également au niveau de la connectivité cérébrale. « Les hypothèses actuelles estiment que cela favorise la flexibilité mentale. Cela pourrait donc aider des patients avec des pathologies caractérisées par des schémas de pensée répétitifs, consommations compulsives ou ruminations à prendre du recul par rapport à leur situation et à opérer des changements. »
Autre mécanisme de ces molécules : elles semblent entraîner une modification des activités dans l’amygdale, une région du cerveau liée aux émotions. Il y aurait une diminution de l’activité, notamment dans le cadre d’émotions négatives, facilitant donc la dominance des positives. « On comprend bien l’intérêt de cet effet dans le cas de souffrances psychiques », note la chercheuse.
Il existe cependant des différences dans les profils d’action de ces molécules et sur leur durée d’action. Elle est ainsi de quatre à six heures pour les champignons hallucinogènes qui contiennent de la psilocybine. Pour le LSD, la durée est bien plus longue, de huit à douze heures, pouvant même aller jusqu’à quinze heures. Le DMT, issu de l’ayahuasca, agit, selon la modalité de la prise, entre une demi-heure et quelques heures. « Ces différences ont un rôle important quant à la praticité et la facilité d’utilisation de ces molécules dans un cadre thérapeutique », précise Lucie Berkovitch.
Tester en toute sécurité
Si ces substances sont des principes actifs, il ne faut pas négliger l’accompagnement du patient qui est tout aussi nécessaire. C’est d’ailleurs l’une des ambitions de cette approche thérapeutique : allier la pharmacopée et la psychothérapie. Mais ce qui a fait la célébrité de ces molécules dans l’imaginaire collectif est également une source de méfiance de la part du grand public. Or « il y a peu de craintes sur les effets secondaires des psychédéliques qui sont assez limités », rassure Mickaël Nassila, directeur d’une unité de recherche de l’Inserm. À ce jour, il n’y a d’ailleurs pas eu de conséquences graves observées après des prises dans les différents essais menés. « Cela s’explique aussi par le cadre très strict qui entoure l’utilisation thérapeutique de ces molécules, relève Lucie Berkovitch. Les populations des essais cliniques sont minutieusement choisies, avec des exclusions systématiques de personnes ayant des antécédents, personnels ou familiaux, de manifestations psychotiques ou d’idées suicidaires trop importantes. »
De plus, les prises sont très contrôlées au niveau des doses et le patient est accompagné à plein temps par des équipes formées. C’est d’ailleurs l’un des facteurs limitants de la recherche et, dans le futur, de l’utilisation des psychédéliques en psychiatrie, car cela demande du personnel qualifié et nombreux.
Multiplier les essais
LSD, psilocybine et DMT souffrent aujourd’hui du nombre relativement faible d’études sur leur efficacité, même si des essais cliniques conséquents commencent à voir le jour. Pourtant, les enjeux sont énormes : d’après une étude de 2015 réalisée par le chercheur Pierre Krop au Centre d’économie de la Sorbonne, le coût social des addictions en France s’élève à près de 250 milliards d’euros par an. Qui plus est, « les traitements actuels de l’addiction sont longs, complexes et demandent beaucoup d’efforts, là où les psychédéliques pourraient bien avoir des effets à long terme avec une ou deux prises seulement », s’enthousiasme Mickaël Naassila. Côté dépression, les possibilités sont tout aussi impressionnantes. L’OMS estime qu’en France, près d’une personne sur cinq souffrira de cette maladie au cours de sa vie, « dont un tiers environ ne répond pas aux traitements médicamenteux actuels », chiffre Lucie Berkovitch. L’utilisation des substances psychédéliques pourrait donc offrir une réponse à des populations avec peu de solutions aujourd’hui. « Un effet double sur l’addiction et la dépression, qui sont souvent des comorbidités, est aussi possible », ajoute Mickaël Naassila.
Le chemin n’est pas encore tout tracé pour ces molécules aux effets kaléidoscopiques. Même si elles risquent de rencontrer des difficultés pour être acceptées, « le nerf de la guerre, comme dans toute évaluation de dispositif, sera de prouver que la balance bénéfices/risques est favorable », conclut Lucie Berkovitch. Affaire à suivre !