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Que penser de l'exposition des petits aux écrans ?

Que penser de l'exposition des petits aux écrans ?
Un rapport d’experts a récemment fait le point sur les effets des écrans sur la santé des enfants.

Depuis maintenant plusieurs années, les parents mais aussi les professionnels de santé sont inquiets : les enfants passent trop de temps devant les écrans. Quelles sont les conséquences démontrées ou à craindre sur leur santé physique et mentale ? Vaste question à laquelle a tenté de répondre une commission de dix experts qui a rédigé, à la demande du président de la République, un rapport intitulé « Enfants et écrans : à la recherche du temps perdu ». Sans surprise, ses préconisations, remises le 30 avril dernier, répètent, en les renforçant, les repères déjà clamés par les spécialistes : pas d’exposition avant 3 ans, usage déconseillé avant 6 ans, pas de téléphone portable connecté à Internet avant 13 ans et accès à partir de 15 ans aux réseaux sociaux lorsqu’ils sont à conception éthique uniquement. Mais surtout, ce rapport transversal (qui aborde également des questions éducatives, juridiques, environnementales) a le mérite de faire état des connaissances de la science sur les enjeux sanitaires, coupant court aux discours qui se contredisaient. « On parlait beaucoup des conséquences des écrans sur le neurodéveloppement, mais on mettait rarement tout ensemble : la vision, la sédentarité, le sommeil, la santé mentale », analyse Servane Mouton, neurologue en région lyonnaise et coprésidente de la commission d’experts. Désormais, « ce rapport, qui pose des principes forts, donne une feuille de route à tous ceux qui ont envie de mieux gérer les consommations d’écrans, qu’il s’agisse des parents, des professionnels de l’enfance ou des politiques », estime le psychiatre Serge Tisseron.

Santé physique et mentale mises à l'épreuve

Selon le rapport, un consensus se dégage nettement d'un point de vue scientifique : il est démontré que les écrans ont des conséquences néfastes «sur plusieurs aspects de la santé somatique des enfants et des adolescents ». Leur utilisation contribue en effet au déficit de sommeil, à la sédentarité et au manque d’activité physique, à l’obésité et son lot de pathologies chroniques, ainsi qu’aux problèmes de vision (myopie et potentiels effets négatifs sur la rétine encore difficiles d’évaluer à ce jour). Avec une constante : pour toutes les tranches d’âge, les écrans ont un retentissement massif sur le sommeil, pilier de la santé, mais aussi sur les apprentissages et le neurodéveloppement. En effet, le manque ou les troubles du sommeil sont des facteurs de risque d’anxiété et de dépression. « Donc, quand les études montrent que 40 % des moins de 11 ans regardent un écran dans l’heure qui précède le coucher, on sait que leur sommeil est compromis et que c’est un problème de santé publique au sens large », considère Servane Mouton. Le rapport constate en complément que « les études sur les conséquences des écrans sur le neurodéveloppement des enfants et des adolescents nécessitent encore d’être approfondies ».

Des effets difficiles à démêler

Concernant la santé mentale, de nombreuses recherches présentent des conclusions variées. Le nombre d’éléments multifactoriels entrant en jeu rend en effet difficile le tri entre écrans, contenu, environnement, etc. Toutefois, suffisamment d’études montrent que les écrans n’ont pas d’intérêt pour stimuler le langage, l’attention ou encore les apprentissages : ces derniers sont moins réussis que lorsqu’ils sont accompagnés par une personne réelle avant 3 ans. Pour la tranche d’âge des moins de 6 ans, « à la différence des activités physiques et artistiques, de la lecture faite aux ou par les enfants, les écrans n’ont pas démontré qu’ils étaient constructifs et nécessaires pour le cerveau et la santé globale », note Servane Mouton. « Or les journées n’ayant que 24 heures, les écrans empiètent sur ces activités. » Heureusement, si les écrans, pris isolément, semblent avoir un effet négatif sur la cognition globale chez les 2-5 ans, « lorsque l’enfant dort bien, a de bonnes interactions avec son ou ses parents, est dans un environnement riche et a une bonne alimentation, ces éléments favorables vont en partie les compenser », poursuit la neurologue. Elle martèle malgré tout que c’est un ensemble d’effets qu’il faut considérer, sans bien sûr occulter ceux, avérés, sur la santé physique.

S'adapter aux tranches d'âges

Alors, doit-on bannir les écrans ? Pas pour Serge Tisseron, selon qui « un écran, c’est comme la nourriture : il faut les adapter à chaque âge (3-6-9-12 ans). On ne met pas un steak dans le biberon mais du lait. Il faut donner à l’enfant ce qu’il est capable de digérer. » Le psychiatre milite pour privilégier les écrans partagés qui suscitent les échanges comme « des jeux vidéo auxquels on va jouer ensemble, un vieux Fernandel autour duquel on va rigoler, et qui sont créateurs de liens familiaux. Les bons écrans sont ceux qui sont adaptés à l’âge et stimulent la sociabilité et la créativité. » Reste qu’au-delà des problématiques de santé publique, le rapport questionne aussi la propre déconnection des parents, la place accordée aux enfants et les alternatives qui leur sont offertes. « Pourquoi ne pas ouvrir les cours de récréation et les gymnases à tous les enfants en dehors du temps scolaire comme en Suisse, ou comme le fait la ville de Rouen ? », suggère Serge Tisseron.

Attention aux amalgames

Parmi les nombreuses rumeurs, celle selon laquelle l’exposition des jeunes enfants aux écrans favoriserait l’apparition de troubles autistiques a fait particulièrement débat. Largement relayée par une médecin généraliste exerçant en PMI, qui se fondait sur des observations sur ses petits patients et non sur des études scientifiques, elle a suscité de vives réactions de parents d’enfants autistes, d’associations, mais aussi de spécialistes et de chercheurs. « Parce que certains ont repéré des signes de l’autisme après une exposition intensive d’enfants aux écrans, ils ont fait un raccourci rapide, explique le psychiatre Serge Tisseron. Si on enferme un enfant toute la journée dans un placard, il ne va pas beaucoup communiquer. L’enfant devant un écran est cet enfant dans le placard. Ce n’est pas le placard qui provoque chez lui un appauvrissement de la vie sociale, c’est l’absence d’interactions. Cela s’appelle une privation sensorielle. L’autisme est une maladie d’origine endogène, préexistante à la naissance et qui implique des facteurs génétiques. L’environnement peut révéler, voire aggraver une vulnérabilité ou un handicap préexistant, mais il ne le crée pas. » Autre idée reçue : les écrans créeraient une addiction. « À l’heure actuelle, seul le trouble du jeu vidéo (gaming disorder) est reconnu comme addiction par l’OMS, précise Serge Tisseron. Cela ne se rencontre que lorsqu’il existe des troubles mentaux associés. Il s’agit d’une addiction dite comportementale, très différente d’une addiction à une substance toxique. »

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