On le connait sous le nom de « septième continent », ou, moins poétiquement, de « continent poubelle ». Mis en évidence en 1997, ce gigantesque vortex de plastiques aux contours diffus et mouvants évolue sous la surface de l’océan Pacifique entre Hawaï et la Californie et s’étend sur plus de 1,6 million de km2. Il matérialise l’ampleur de la pollution planétaire générée par ces matériaux synthétiques de notre vie quotidienne.
Exposition permanente
Si les conséquences néfastes pour l’environnement des produit synthétiques sont clairement avérées, c’est désormais à leur potentiels effets délétères sur notre santé que s’intéressent les scientifiques. Dans leur viseur en particulier, les formes fragmentées de ces matériaux. Résultant de l’érosion de particules plus grosses, les nano et microplastiques ont une taille entre 1 et 5 microns pour les premiers et inférieure à 1 micron pour les seconds, même s’il n’y a pas encore de consensus sur ces définitions. Quoiqu’il en soit, ils sont présents partout : « On les retrouve dans les sols, dans l’eau mais aussi dans l’air, comme beaucoup d’autres types de polluants », explique Xavier Coumoul, professeur en biochimie et toxicologie à l’université de Paris et directeur de l’équipe Inserm Metatox, laboratoire T3S. Pour compléter ce tableau, Olivier Fardel, professeur de physiologie-hématologie à la faculté de pharmacie de Rennes, praticien hospitalier et membre de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset), rappelle que cette exposition est également liée « aux contenants des produits alimentaires ou cosmétiques, mais aussi directement à la nourriture ingérée, notamment les produits provenant des océans ». Si les deux principales voies de contact sont l’alimentation et l’inhalation, la voie cutanée n’est pas non plus exclue.
Les barrières tombent
En 2022, une étude de chercheurs néerlandais a mis en évidence la présence de plusieurs types de résidus plastiques dans le sang de personnes en bonne santé. « La concentration moyenne retrouvée était de l’ordre de 1 à 2 microgrammes par millilitre de sang, ce qui n’est pas rien si l’on extrapole à l’ensemble du système circulatoire », constate Xavier Coumoul. Même s’il faut pour l’heure rester prudent du fait du manque de données et donc de consensus sur ces questions, « un certain nombre d’études montrent des passages de ces plastiques à travers les barrières intestinale, pulmonaire, placentaire ou encore hématoencéphalique », remarque Olivier Fardel. Les mécanismes évoqués dans les différentes études pour expliquer cette pénétration des nano et microplastiques au sein de notre organisme ne sont pas encore tous élucidés, même si les experts ont connaissance de nombreuses pistes. Pour Mr Fardel, il semble que « l’homme ne [soit] pas imperméable à ces plastiques ».
Plusieurs mécanismes
Maintenant qu’il est clair que ces substances sont capables de s’infiltrer dans notre organisme, il s’agit désormais de rechercher leurs potentiels effets nocifs pour la santé. « À ce stade, les risques sanitaires sont très mal appréhendés, assure Xavier Coumoul. Néanmoins, une récente étude […] a montré la présence de nano et microplastiques dans les athéromes carotidiens [ndlr : des dépôts de graisse dans l’artère carotide] de plusieurs personnes. Par ailleurs, il a été établi que les patients avec les niveaux les plus élevés de ces plastiques étaient également ceux qui avaient le risque le plus élevé de développer un infarctus ou un accident vasculaire cérébral (AVC). Même si on ne peut pas attester de liens de causalité dans cette étude, d’autres sur des rongeurs montrent que la présence de plastiques dans l’intestin peut entraîner une inflammation. » Outre les additifs associés directement aux plastiques pour améliorer leurs propriétés que sont les retardateurs de flamme organophosphorés, les PFAS, les bisphénols ou encore les phtalates, « des composés comme des pesticides, des hydrocarbures aromatiques polycycliques ou d’autres molécules considérées comme des perturbateurs endocriniens sont susceptibles de se déposer à leur surface », prévient Olivier Fardel. Dans ce cas de figure, les particules de nano ou microplastique seraient alors les vecteurs inertes de ces substances à la dangerosité quant à elle bien établie.
Début de preuves
Pour Xavier Coumoul, il est clair que « la littérature scientifique récente, qu’elle soit expérimentale ou épidémiologique, commence à démontrer que l’exposition aux nano et microplastiques est associée à des enjeux sanitaires ». De son côté, Olivier Fardel estime également qu’il est « complètement justifié de s’y intéresser de manière approfondie ». Il rappelle toutefois qu’« il n’y a, pour le moment, pas les éléments permettant de tirer de conclusions définitives. Le travail des scientifiques est de fournir des données et c’est ensuite aux agences sanitaires de faire la part des choses et de décider d’adopter d’éventuelles mesures de santé publique. »