Therese Johansson, chercheuse à l’Université d’Uppsala (Suède) a réalisé deux études à un an d’intervalle. La première, publiée en 2023, s’est appuyée sur les données de près de 265000 femmes vivant au Royaume-Uni. Elle dévoile un risque plus élevé de dépression chez les utilisatrices de la pilule par rapport à celles qui n’en ont jamais fait usage, un risque semblant se concentrer en particulier au cours des deux premières années de prise. Non contente de ces premiers résultats qui l’ont conduite à recommander une meilleure information des médecins et des patientes, Therese Johansson a lancé une nouvelle étude, cette fois en s’appuyant sur les registres nationaux suédois.
La méthode : son équipe a conçu une centaine d’essais imbriqués couvrant la période allant de juillet 2010 à décembre 2020, un essai débutant chaque mois pour un suivi de deux ans. Au total, ce sont plus de 1,2 million de femmes ayant commencé à prendre la pilule durant cette période qui ont été incluses, dont près de 127000 ont reçu un diagnostic de dépression ou se sont vu prescrire des antidépresseurs. Cette étude de cohorte historique confirme le lien entre le risque de dépression et l’utilisation de la pilule contraceptive, que celle-ci soit uniquement progestative ou qu’elle soit oestroprogestative (c’est-à-dire associant un œstrogène et un progestatif ; on parle aussi de pilule combinée). Surtout elle mesure précisément l’augmentation de ce risque (par rapport aux femmes n’utilisant aucune contraception) en fonction du contraceptif hormonal utilisé.
Mesure du risque de dépression
Ainsi, dans le cas de la pilule combinée dont l’œstrogène est l’éthinylestradiol (le plus souvent utilisé), le risque est augmenté selon le progestatif associé :
• de 22% avec le lévonorgestrel (tels que Adepal, Minidril, Optidril, Optilova, Seasonique, Trinordiol)
• de 32% avec le norgestimate (tels que Femi, Cilest, Optikinzy, Triafemi)
• de 50% avec la noréthistérone (aucune référence en France)
• de 57% avec le désogestrel (tels que Mercilon, Varnoline, Varnoline Continu)
• de 81% avec la drospirénone (tels que Jasmine, Jasminelle, Jasminellecontinu, Yaz)
• et de 105% avec le diénogest (tels que Misolfa, Oedien)
Pour la pilule combinée dont l’œstrogène est l’estradiol, le risque de dépression progresse de 42% lorsqu’il est associé au nomégestrol (Zoely) et de 77% avec le diénogest (Qlaira). Globalement, les femmes sous une pilule combinée contenant de l’éthinylestradiol présentent un risque de dépression augmenté de 36% par rapport aux non-utilisatrices, un risque qui bondit à 71% pour celles sous pilule progestative (71%).
Au-delà de la pilule
Quant aux dispositifs intra-utérins (DIU) hormonaux au lévonorgestrel, plus communément appelés stérilets, le risque de dépression augmente avec le dosage : de 50% pour le 13,5 mg (Jaydess), de 52% pour le 19,5 mg (Kyleena) et de 63% pour le 52 mg (Donasert, Mirena). Pour les patchs transdermiques, qui associent éthinylestradiol et norelgestromine (Evra), et les anneaux vaginaux, qui combinent éthinylestradiol et étonogestrel (Nuvaring), le risque de dépression est augmenté de 52 à 59%. Il est compris entre 68 et 78% pour l’implant (étonogestrel seul ; Nexplanon) et la contraception à longue durée d’action utilisant la médroxyprogestérone en injection tous les trois mois (Dépo Provera).
Des conclusions à mettre en balance
Therese Johansson a tiré des conclusions de ses travaux : d’une part, tous les contraceptifs hormonaux semblent bien associés à un risque de dépression chez les utilisatrices, tant chez les adolescentes que chez les adultes ; d’autre part, « bien plus que la voie d’administration, ce sont les différents dosages et les types de progestatif utilisés qui semblent influer sur le risque de dépression ». En parallèle, elle rappelle qu’il « est important de souligner que la plupart des femmes tolèrent bien les hormones externes, sans ressentir d'effets négatifs sur leur humeur. De plus, les pilules contraceptives permettent aux femmes d'éviter les grossesses non planifiées et peuvent également prévenir les maladies qui affectent les femmes, notamment le cancer de l'ovaire et le cancer de l'utérus. »
La question du risque de dépression associé aux traitements hormonaux contraceptifs n’est pas nouvelle et sa complexité demeure. On ne sait actuellement pas expliquer le mécanisme d'action de ces médicaments sur la santé mentale. La question des effets de l'environnement de la patiente sur les symptômes qu'elle présente ne peut pas être éliminée au profit d'une explication uniquement centrée sur ces molécules. En tous cas, ces résultats interrogent sur le rapport bénéfice-risque de ces médicaments et sur la nécessaire personnalisation de chaque traitement selon les risques de dépression de chaque patiente. Un point que chaque femme devrait aborder avec les soignants qui la suive, notamment sur le versant gynécologique.