En 2006, le vaccin contre les papillomavirus humains (HPV) faisait son entrée sur la scène mondiale et, avec lui, l’espoir d’éradiquer le cancer du col de l’utérus et tous les autres cancers provoqués par ces virus particuliers ainsi que les indésirables condylomes, des verrues génitales. « Près de 20 ans plus tard, des pays comme l’Australie ou le Canada, qui ont dès le début mené des campagnes de vaccination massives – en particulier à l’école – auront bientôt éradiqué le cancer du col et envisagent de se passer du dépistage », explique le Pr Xavier Carcopino, chef du service de chirurgie gynécologique à l’Hôpital Nord de Marseille et président de la Société française de colposcopie et de pathologie cervico-vaginale (SFCPCV).
Des données rassurantes
Concernant les vaccins utilisés (en France, c’est actuellement le Gardasil 9), les études sont unanimement favorables : on dispose à présent d’un long recul sur la sécurité des produits. Pour n’en citer qu’une parmi d’autres, celle publiée dans The Lancet en 2021, réalisée en Angleterre où l’on vaccine depuis 2008 et où la couverture vaccinale des jeunes filles dépasse 80 %, montre une nette réduction des lésions précancéreuses et des cancers du col. Cette baisse est respectivement de 97 % et de 87 % chez les filles vaccinées entre 12 et 13 ans. Des chiffres impressionnants !
De surcroît, selon une étude en population sur les registres américains publiée dans le Journal of the American Medical Association (Jama) en 2024, « les quelques cancers du col de l’utérus survenant avant 25 ans, qui sont fulgurants et tuent, voient leur risque diminué de 65 % si les femmes ont été vaccinées jeunes, et celui de décès par ces cancers survenant jeune réduit de 62 % », insiste le Pr Geoffroy Canlorbe, chirurgien gynécologique à la Pitié-Salpêtrière à Paris et secrétaire de la SFCPCV.
Retard phénoménal
Malheureusement, la France n’a pas pris le virage de la lutte contre les HPV aussi vite que nombre de ses voisins. Un retard mis en exergue dans une étude publiée fin 2020 dans Expert Review of Vaccines (données 2018-2019). Sur 31 pays du continent européen, la France se classait 28e, affichant un taux de couverture vaccinale (CV) des jeunes filles ayant reçu un schéma complet de 23,7 %. Loin derrière le Portugal (90-94 %) ou la Belgique (91 %) et juste devant le Kazakhstan (15 %). Et surtout, bien loin de l’objectif de 80 % à l’horizon 2030 fixé par l’Institut national du cancer (Inca).
« La France a pris un retard phénoménal car nous n’avons pas été capables, dès le départ, de mettre en place une politique vaccinale efficace », déplore Xavier Carcopino. Et ce, pour plusieurs raisons. « D’abord, nous avons à tort sexualisé le vaccin avec la notion de vacciner des sujets vierges, ce qui a pu braquer certains parents, alors que les autres pays parlaient simplement d’âge optimal pour vacciner (11-14 ans). Surtout, nous n’avons pas proposé la vaccination dès le départ à l’école. »
Des circuits complémentaires
La campagne d’immunisation en milieu scolaire a pourtant émergé en 2014, dans les recommandations du Haut Conseil de santé publique. Le gynécologue marseillais estime que le « parcours patient », c'est à dire les différentes étapes à respecter pour parvenir à la vaccination du patient, n’aidait pas. « Il fallait que les parents emmènent leur ado chez le médecin, que celui-ci pense à parler de vaccination HPV, qu’ils aillent chercher le produit et consultent à nouveau pour l’injection. C’est pour cela que la vaccination à l’école est si importante, tout comme celle désormais directement réalisée par le pharmacien. »
Coup de boost
De fait, la proposition de vaccination HPV dans les collèges pour tous les élèves de cinquième depuis la rentrée 2023 a fait bondir les taux de protection des jeunes, selon les données publiées par Santé publique France (et qui englobent les vaccins injectés en ville). À l’issue de la deuxième phase de la campagne (du 31 mars au 30 juin 2024), 62 % des filles et 48 % des garçons avaient reçu au moins une dose, un taux qui atteint respectivement 38 % et 30 % pour le schéma complet à deux doses. « La couverture à une dose des filles a même atteint les seuils très encourageants de 81 % en Bretagne, 76 % en Normandie et 70 % dans les Pays de la Loire », se réjouit le Pr Canlorbe. Son espoir ? « Atteindre un effet baptisé l’effet troupeau mis en évidence dans des publications internationales, selon lequel, à partir de 80 % de couverture, tant le portage du virus, les lésions précancéreuses que les condylomes diminuent chez jeunes vaccinés comme chez les non-vaccinés. »
Autre point positif relevé par le gynécologue : le « coup de boost » de la vaccination au collège qui a un effet boule de neige en ville. « Des élèves seront vaccinés chez le médecin ou le pharmacien parce que les parents auront été sensibilisés par la campagne en milieu scolaire. »
Encore des améliorations à venir
Des efforts de communication et de simplification du parcours patient doivent encore être mis en œuvre en France. Notamment en matière de recommandation vaccinale. Celle-ci a évolué au cours des 20 dernières années et inclut les garçons depuis 2021 seulement, avec un schéma identique à celui des filles : vaccination préconisée de 11 à 14 ans (deux doses), en rattrapage de 15 à 19 ans (trois doses). Surtout, relève l’association Imagyn (Initiative des malades atteintes de cancers gynécologiques), il est incompréhensible que le rattrapage jusqu’à 26 ans soit réservé aux seuls hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), un critère à la fois stigmatisant, impossible à vérifier et qui sexualise à nouveau le vaccin. D’autant que l’Académie nationale de médecine (ANM) le rappelait il y a tout juste un an : « Le risque d’infection à HPV perdure tout au long de la vie dans les deux sexes et 50 % des cancers du col de l’utérus sont dus à des infections contractées après 20 ans.» Militant pour un rattrapage vaccinal ouvert à tous jusqu’à 26 ans, comme en Belgique ou en Irlande, l’ANM veut ainsi permettre aux jeunes qui n’auraient pas bénéficié de la vaccination avant leur majorité de prendre « une décision individuelle », sans intervention parentale. Saisie par Imagyn, la Haute Autorité de santé (HAS) doit rendre un avis sur la question en avril prochain.