Après qu’Ozempic a défrayé la chronique outre-Atlantique grâce à quelques influenceurs présents sur les réseaux sociaux notamment, la France a, à son tour, été touchée par un détournement de ce médicament antidiabétique à des fins d’amaigrissement. Au point de créer des tensions d’approvisionnement dommageables pour les personnes souffrant d'un diabète, dans l’incapacité de trouver leur traitement et provoquant l’intervention de l’agence du médicament française (ANSM). Elle a notamment rappelé les prescripteurs à l’ordre, la dispensation d’Ozempic nécessitant obligatoirement une ordonnance.
Pour autant, la molécule utilisée, de la famille des incrétines ( on parle d'« agoniste du GLP-1 ou aGLP-1»), permet effectivement de perdre du poids. Le sémaglutide, comme les autres médicaments de sa classe, stimule la production d’insuline en cas de glycémie élevée, ralentit la vidange gastrique et augmente la sensation de satiété. C’est dans ce cadre, et après plusieurs études cliniques, que le laboratoire danois Novo Nordisk a lancé une autre version de son médicament.
Deux versions pour deux indications
Ainsi, Ozempic est strictement indiqué dans le diabète et remboursé à hauteur de 30% par l’Assurance maladie pour un prix fixé à 76,58 euros. Sur le marché français depuis mai 2019 après avoir obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne l’année précédente, il se présente en stylo prérempli pour auto-injection aux dosages 0,25mg, 0,50mg et 1mg (progression échelonnée toutes les 4 semaines).
Tandis que Wegovy doit exclusivement être utilisé chez des personnes en situation d’obésité ou de surpoids, en seconde intention et en complément d’un régime hypocalorique et d’une augmentation de l’activité physique. Également en stylo prérempli, il est présenté sous 5 dosages (0,25mg, 0,5mg, 1mg, 1,7mg et 2,4mg, escalade de dose mensuelle) et est disponible en pharmacie depuis le 8 octobre dernier (AMM européenne en janvier 2022). Il n’est actuellement pas pris en charge par l’Assurance maladie et, en conséquence, son prix est librement fixé. Selon la filiale française de Novo Nordisk, son prix serait de « 9 à 12 euros par jour », soit un traitement compris entre 252 et 336 euros pour quatre semaines.
Remboursement en vue…
Néanmoins, la situation de Wegovy devrait évoluer dans les mois à venir. En effet, la Haute Autorité de santé (HAS), qui est notamment chargée d’évaluer si un médicament doit être pris en charge par l’Assurance maladie, a donné son feu vert le 4 décembre dernier. Cet avis révisé ouvre la voie aux négociations de prix entre le laboratoire et le Comité économique des produits de santé (CEPS), mission que ce dernier réalise au nom de l’Etat français. Une négociation qui risque d’être tendue alors que les autorités estiment la population cible comprise entre 1 et 2 millions de personnes et que les comptes de la Sécurité sociale sont déjà dans le rouge. Seule chose certaine, le CEPS fera son maximum pour rapprocher le prix de Wegovy de celui d’Ozempic, à moins de 80 euros, tandis que le laboratoire défendra son tarif actuel, en arguant de dosages différents, d’un meilleur service médical rendu et surtout du coût actuel de l’obésité pour la solidarité nationale. Selon une étude du cabinet Asterès en 2023, celui-ci serait de près de 11 milliards d’euros par an.
… mais pas dans l’immédiat !
Mais Wegovy n’est déjà plus la seule incrétine indiquée dans l’obésité disponible sur le marché français. L’innovation ayant le sens du timing, le groupe pharmaceutique américain Eli Lilly a lancé Mounjaro (tirzépatide – dosage à 2,5mg et 5mg), un médicament indiqué dans le diabète (AMM européenne en septembre 2022) et dans l’obésité (AMM en décembre 2023). Contrairement aux Etats-Unis où son médicament anti-obésité a été baptisé Zepbound, le laboratoire a choisi de conserver le même nom de marque pour les deux indications en Europe. Mounjaro a la particularité d’être non seulement un agoniste du GLP-1 mais aussi du GIP, une autre incrétine. Un double agoniste donc, dont les résultats sur la perte de poids semblent, selon les études cliniques, encore plus favorables que Wegovy, mais avec des effets indésirables plus marqués.
Toujours est-il que la HAS a, là encore, délivré un avis favorable au remboursement de Mounjaro dans ses deux indications le 5 septembre 2024, laissant au CEPS le soin de négocier un futur prix acceptable. Sans attendre, Eli Lilly a lancé son médicament sur le marché français le 12 novembre dernier, sans remboursement et donc à prix libre pour le moment, en calquant son tarif sur celui de Wegovy : « Le prix de revente conseillé auprès des pharmacies est autour de 275 euros pour un mois de traitement ». Ce traitement présente la particularité d’avoir bénéficié du système d’accès précoce, permettant à des patients français d’y accéder de juillet 2022 à septembre 2023, bien avant sa commercialisation. Le groupe a également annoncé qu’il allait produire Mounjaro en France dès 2026, dans son usine dévolue aux médicaments injectables située à Fegersheim, en Alsace.
Prescription restreinte
Ces deux lancements dans les pharmacies françaises ont immédiatement inquiété l’agence du médicament. Aux abois après les tensions d’approvisionnement dues à des détournements à des fins esthétiques et à des « points d’alerte » signalés à l’occasion de la surveillance des effets indésirables des aGLP-1 (pancréatite, occlusion intestinale, paralysie de l’estomac), l’ANSM a imposé de strictes conditions de prescription dès le 8 octobre dernier, lors de l’arrivée de Wegovy en pharmacie, étendues à Mounjaro lors de son lancement.
Ainsi, la prescription initiale est réservée aux médecins spécialistes en endocrinologie, diabétologie et nutrition ou qui sont titulaires d’une formation spécialisée transversale « Nutrition appliquée ». Le renouvellement de la prescription peut, en revanche, être réalisée par tout médecin. Par ailleurs, conformément au parcours de soin préconisé par la HAS, la prescription doit concerner des patients dont l’indice de masse corporel est supérieur ou égal à 35kg/m2, âgés de moins de 65 ans, dont la prise en charge nutritionnelle avec un régime hypocalorique et une activité physique est un échec.
Ces mesures de restriction concernant tous les aGLP-1 indiqués dans l’obésité, elles touchent un 3e médicament moins connu du grand public : Saxenda (liraglutide 6mg – AMM européenne en 2015). Également développé par Novo Nordisk, Saxenda est le pendant de son traitement antidiabétique Victoza (AMM en 2009) et n’est pas remboursé (prix libre).
Appel à la vigilance des pharmaciens et des patients
De leur côté, les pharmaciens sont invités à redoubler de vigilance et à examiner attentivement les ordonnances qui leur sont présentées, en particulier lorsqu’elles émanent d’une plateforme de téléconsultation. Au moindre doute, ils doivent contacter le médecin prescripteur lorsque cela est possible, déclarer toute ordonnance suspectée de falsification et refuser la délivrance. Quant aux patients, l’ANSM les appelle à respecter scrupuleusement les conditions d’utilisation définies par leurs professionnels de santé. Et ajoute à leur intention : « Si vous possédez un ou des stylos d’aGLP-1 qui ne vous ont pas été prescrits par un médecin et dispensés par un pharmacien, nous rappelons que vous ne devez pas les utiliser car ils peuvent vous exposer à des risques graves pouvant mener à l’hospitalisation voire au décès. » Un message on ne peut plus clair.