Sandra Sinno-Tellier est médecin de santé publique spécialisée en épidémiologie et en toxicologie à l’Anses. Elle est notamment l’auteur d’un article très important paru sur le site The Conversation. Elle y dresse un état des lieux très complet des accidents domestiques chez les enfants en France entre 2014 et 2020 et donne, pour chaque typologie d’accidents, des pistes pour s’efforcer de les faire reculer.
Pour qualifier et quantifier les accidents, l’Anses a réalisé, avec la contribution de Santé Publique France, une analyse des différentes bases de données sanitaires afin de pouvoir décrire les intoxications accidentelles des enfants âgés de moins de 15 ans, entre 2014 et 2020 : données du Réseau des Centres antipoison, de passages aux urgences (réseau OSCOUR), des hospitalisations (PMSI) et de mortalité (CépiDc). Grâce à l’étude - inédite sur le sujet - de ces différentes sources de données, un panorama complet des intoxications accidentelles pédiatriques bénignes à graves a pu être dressé. Que révèle-t-il ?
Les produits de nettoyage et d’entretien trop souvent impliqués
Les produits de nettoyage et d’entretien sont la première cause d’intoxications accidentelles des enfants de moins de 15 ans enregistrées par les Centres antipoison sur la période étudiée (29 %). Près de la moitié (45 %) ont été causées par les produits pour entretenir le linge (lessives liquides dont les dosettes, assouplissants, détachants…). Autres coupables : les nettoyants de vaisselle ou de surfaces (sols…) comptaient pour 32 % des intoxications, suivis par les désodorisants d’intérieur (8 %) et les produits d’entretien des piscines (4 %).
Si les intoxications causées par les produits de ménage sont le plus souvent bénignes, deux types de produits sont particulièrement à risque de gravité. Tout d’abord, les fameuses dosettes de lessive, « plus toxiques à dose égale que les lessives liquides classiques, et de forme et couleur particulièrement attractive pour l’enfant. Elles peuvent provoquer une détresse respiratoire en cas de fausse route ou des lésions de la cornée en cas de projection oculaire », lit-on. Les intoxications par ces dosettes ont toutefois diminué à la suite de l’application de mesures de prévention européennes obligatoires depuis 2015 : boîte opaque, fermeture renforcée, produit amérisant dans le film de la dosette… En deuxième position des produits les plus dangereux arrivent les déboucheurs pour canalisation, du fait de lésions corrosives digestives en cas d’ingestion accidentelle par l’enfant.
Les réflexes indispensables à acquérir pour les parents sont de bien les refermer ces produits de ménage et les ranger hors de portée des enfants juste après chaque utilisation, en hauteur ou dans des placards bien fermés. Il faut aussi éviter le déconditionnement et le transvasement dans des bouteilles d’eau ou de soda, maximisant le risque d’ingestion accidentelle. Et se méfier particulièrement, donc, des dosettes de lessive et des déboucheurs de canalisation.
Deuxième cause d’intoxications : les médicaments
Les médicaments constituent la deuxième cause d’intoxication (16 %) et la première de cas graves (34 %) chez les enfants de moins de 15 ans, selon les données des centres antipoison. Les médicaments les plus souvent impliqués sont en premier lieu les médicaments du système nerveux (analgésiques, anxiolytiques…), suivis des traitements dermatologiques (antiseptiques, désinfectants) devant les antihistaminiques (médicaments contre l’allergie).
Les analgésiques opioïdes (tramadol, morphine) sont bien-sûr particulièrement dangereux, ainsi que les médicaments cardiovasculaires tels que les bêtabloquants ou les médicaments prescrits dans le traitement de l’hypertension comme les inhibiteurs calciques. Les analgésiques non opioïdes comme l’ibuprofène, l’aspirine et le paracétamol sont quant à eux responsables de pas moins de 10 % des hospitalisations pour intoxication des enfants de moins de 65 ans.
Les intoxications graves nécessitant une réanimation ont souvent été dues aux benzodiazépines (7,5 %), notamment prescrites contre l’anxiété, aux psycholeptiques (antidépresseurs, anxiolytiques…) pour 6 %, et aux inhibiteurs calciques traitant l’hypertension artérielle, pour 2 %.
Il est important de réaliser que sur les 23 décès d’enfants de moins de 15 ans enregistrés par le CépiDc entre 2014 et 2017, 7 décès étaient dus à des médicaments.
A noter que « les enfants de moins d’un an sont souvent intoxiqués par des erreurs faites par l’entourage quand les médicaments leurs sont administrés (erreurs de dosages ou de médicaments), tandis que les enfants d’un à cinq ans accèdent plus souvent seuls aux médicaments ».
Quant aux recommandations, il s’agit de ranger TOUS les médicaments en hauteur ou dans une armoire à pharmacie bien fermée, qu’ils soient destinés aux enfants, aux adultes ou aux animaux de compagnie. Il faut aussi veiller à ce qu’ils ne soient pas accessibles aux enfants hors de l’habitation principale, par exemple chez les grands-parents. Et ne pas laisser de médicaments sur une table, ou même dans une poche ou un sac à main.
Le redoutable monoxyde de carbone
Le monoxyde de carbone est un gaz est d’autant plus dangereux qu’il est quasiment indétectable. Produit notamment par les systèmes de chauffage défectueux, il est connu pour être responsable d’intoxications collectives, souvent familiales. Dans la période analysée, les intoxications au monoxyde représentaient la première cause d’hospitalisation (11 %) et la deuxième d’admission en réanimation (21 %) pour intoxication chez les moins de 6 ans. Et ces intoxications touchaient particulièrement les enfants de moins d’un an.
Dans les données du CépiDc, le monoxyde de carbone représentait la première cause de décès dans la période analysée : 9 sur 23.
Quant aux recommandations, répétées chaque hiver mais pas suffisamment au vu des chiffres : il faut faire réviser régulièrement ses installations de chauffage et de production d’eau chaude (chaudière, chauffe-eau, poêles). Il est crucial d’aérer tous les jours le logement, même -et surtout !- quand il fait froid. Il ne faut jamais utiliser en intérieur de chauffage improvisé type brasero, barbecue, groupe électrogène, et il convient de s’assurer que les détecteurs de fumée (obligatoires partout depuis 2010) sont en état de fonctionnement.
Le cannabis : un risque grave en augmentation
Les intoxications par du cannabis représentent 23 % - soit la première cause - des admissions en réanimation pour intoxication des enfants de moins de six ans. A noter que celles-ci étaient de plus en plus fréquentes dans la période analysée, notamment chez les moins d’un an (de 9 % des hospitalisations pour intoxication en 2014 à 16 % en 2020), et elles se révélaient aussi de plus en plus graves. Une tendance observée aussi dans d’autres études, insiste l’Anses.
Les recommandations à ce sujet ? Ne pas banaliser la consommation de cannabis par les parents ou l’entourage de l’enfant (amis, connaissances…), informer les parents sur les risques graves encourus par leurs enfants en cas d’ingestion de résine de cannabis (somnolence, troubles respiratoires…), et recourir au plus vite à un service de soins en cas d’ingestion de cette substance, même suspectée.
Les piles-boutons et autres corps étrangers
Autre fléau pour les enfants, surtout en dessous de 6 ans, les petits objets faciles à manipuler, à porter à la bouche, plus attractifs les uns que les autres en raison de leur taille, leur couleur… C’est le cas des redoutables piles-boutons, de télécommandes ou de jouets, et des billes d’eau à usage décoratif ou de support pour les plantes. Il faut savoir que les corps étrangers ingérés ne représentent qu’un pour cent des intoxications enregistrées sur la période par les centres antipoison, mais 6 % des cas graves !
Ils furent même responsables de 2 décès entre 2014 et 2020. Sur cette période, 19 enfants avaient avalé une pile-bouton provenant d’un jouet de l’enfant ou d’une télécommande. Un de ces enfants est décédé à la suite d’une perforation de l’œsophage et de l’aorte, un autre après avoir ingéré une bille d’eau qui a amené des complications digestives. « Pour ces deux décès, l’ingestion du corps étranger était passée inaperçue au moment de l’accident, ce qui avait retardé la prise en charge médicale », précise l’Anses.
Les recommandations sont de tenir les fameuses piles-boutons hors de portée des enfants, y compris si elles sont usagées ou neuves dans leur emballage. Il ne faut aucunement laisser un enfant jouer avec une télécommande, des clés… et tout autre objet susceptible de contenir une pile-bouton. Il est indispensable de s’assurer que le compartiment à piles des objets tels que la télécommande est bien sécurisé et ne peut pas être ouvert par l’enfant (vis bien serrée, système de fermeture enclenché…). Et enfin, il faut garder à l’esprit que « toute suspicion d’ingestion de pile-bouton par un enfant doit être considérée comme une ingestion potentielle et nécessite un recours médical ».